par Rachel Therrien, pharmacienne — publié en octobre 2012
Rachel Therrien est une pharmacienne spécialisée en VIH/sida à l’Unité hospitalière de recherche, d’enseignement et de soins sur le sida (UHRESS) à Montréal. Elle est aussi co-auteure du Guide thérapeutique VIH, une ressource primée d’information sur les ARV.
La prise de médicaments pour des conditions autres que le VIH peut être compliqué par des interactions entre les antirétroviraux (ARV) et ces médicaments. Cet article examine certaines interactions communes et souligne l’importance de discuter de toute nouvelle médication avec votre médecin et votre pharmacien.
Qu’est-ce qu’une interaction médicamenteuse ?
On parle d’interactions médicamenteuses lorsqu’un médicament modifie la concentration d’un autre médicament dans le sang. « Médicament A » peut augmenter la concentration du « Médicament B » dans le sang, ce qui accroît le risque d’effets indésirables ou de toxicités du « Médicament B ». Dans d’autres cas, le « Médicament A » peut diminuer la concentration du « Médicament B », ce qui pourrait rendre le « Médicament B » moins efficace.
On parle également d’interactions médicamenteuses lorsque deux médicaments pris ensemble ont des effets additifs (1+1=2), synergiques (1+1=3) ou antagonistes (1+1=0). Par exemple, si deux médicaments présentent un risque d’anémie, l’individu qui prendra les deux ensemble sera plus susceptible de subir cet effet indésirable.
Certains ARV sont plus à risque que d’autres de présenter des interactions médicamenteuses. Par exemple, les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI) et plus particulièrement les inhibiteurs de laprotéase (IP) sont à risque d’interagir avec d’autres médicaments.
Ce ne sont pas uniquement les médicaments prescrits qui peuvent occasionner des interactions, mais également ceux que vous prenez sur les tablettes de la pharmacie sans prescription, tels les anti-inflammatoires (par ex. l’ibuprofène [Advil® ou Motrin®]) ou les médicaments pour la digestion telle la ranitidine (Zantac®) ou la famotidine (Pepcid®). Les produits naturels et les drogues à usage récréatif peuvent aussi interagir avec les ARV.
Il est donc très important de mentionner à votre médecin et à votre pharmacien tous les médicaments que vous prenez. Assurez-vous que votre médecin traitant soit au courant des prescriptions que vous avez reçu d’autres médecins. Demandez à votre pharmacien de vérifier s’il y a une interaction à chaque fois que vous ajoutez un nouveau médicament et également lorsque vous en cessez un.
Idéalement, il serait préférable de ne fréquenter qu’une seule pharmacie afin de s’assurer que votre pharmacien peut suivre un dossier complet et être en mesure de détecter toute interaction avant qu’elles ne causent des problèmes.
Que faire lors d’une interaction ?
La manière dont l’interaction sera gérée dépendra de plusieurs facteurs et la solution peut changer d’un individu à l’autre. C’est possible que votre médecin voudrait vous voir plus souvent pour une certaine période afin de surveiller les effets du nouveau médicament, et qu’il prendrait une prise de sang pour mesurer la concentration de certains médicaments dans votre sang. Les doses de médicament pourront être ajustés, ou un autre médicament pourrait être choisi.
Les interactions sont parfois complexes et il se peut que votre médecin demande l’avis d’autres membres de l’équipe soignant ou d’un expert externe.
Quelques interactions qu’il serait bien de garder en tête
Antiacides
L’atazanavir (Reyataz®) surtout lorsque donné seul sans le ritonavir (Norvir®) et la rilpivirine (Edurant® ou Complera®) peuvent interagir avec différents type de médicaments utilisés pour diminuer l’acidité de l’estomac. Certains de ces antiacides devront être évité quand vous prenez ces ARV et une solution de rechange sera suggérée. D’autres antiacides pourront être utilisés mais devront être espacés de vos ARV pour éviter une baisse dans le niveau des ARV (par ex. prendre les antiacides 12 heures avant ou après les ARV).
Médicaments utilisés pour l’épilepsie, comme stabilisateur de l’humeur ou pour le contrôle de la douleur
La carbamazépine (Tegretol®) et la phénytoine (Dilantin®) utilisés pour différentes indications, sont des médicaments qui peuvent accélérer le métabolisme de certains ARV et les rendre moins efficaces. Le médecin qui vous suit pour le VIH doit être au courant de l’ajout de ces médicaments. En effet, ces médicaments peuvent diminuer l’efficacité de vos ARV.
Par une prise de sang, votre médecin peut mesurer la quantité de certains ARV dans votre sang et augmenter la dose s’il le juge nécessaire. Votre médecin peut également choisir de modifier votre traitement pour le VIH ou choisir une solution de rechange à la phénytoine ou à la carbamazépine.
Médicaments pour l’anxiété ou l’insomnie
La concentration de certains médicaments de la classe des benzodiazépines, soit le diazépam (Valium®), le clonazépam (Rivotril®) et le flurazépam (Dalmane®) etc., peut augmenter lorsqu’ils sont combinés avec les IP. Il y a un risque de sédation excessive, de confusion et même de détresse respiratoire. Ces médicaments doivent être évités ou utilisés aux plus petites doses jugées efficaces si vous prenez aussi des IP. Les benzodiazépines qui peuvent être utilisés avec les IP sont le lorazépam (Ativan®), l’oxazépam (Serax®) et temazépam (Restoril®).
Médicaments pour la dysfonction érectile
Tout comme les benzodiazépines mentionnées ci-haut, le sildenafil (Viagra®), le tadalafil (Cialis®) et le vardenafil (Levitra®) peuvent s’accumuler avec les IP. Les doses de ces médicaments doivent être diminuées de beaucoup pour éviter l’apparition d’effets indésirables sérieux. Par exemple, avec le Viagra, il est recommandé de ne pas prendre plus de 25 mg aux 48 heures si vous prenez aussi un IP.
Les pompes inhalateures pour l’asthme et autres troubles pulmonaires
Le fluticasone (Flovent®, Advair®) est un corticostéroides en inhalation. Ce dernier est surtout distribué dans les poumons, mais une très petite quantité se retrouve également dans le sang. En présence d’ARV de la classe des IP, le fluticasone peut se retrouver en trop grande quantité dans le sang. À ce moment, la personne aura des symptômes reliés au syndrome de cushing (trop de cortisone dans le sang) qui peuvent se manifester par une prise de poids, un visage plus lunaire, une bosse de bison (une accumulation de graisse sur l’arrière du cou ou entre les épaules), ou par une augmentation du ventre, de l’hypertension, de l’insomnie, de la nervosité etc. De plus, le fonctionnement des surrénales peut-être perturbé, ce qui peut causer des problèmes sérieux si le fluticasone est arrêté soudainement.
C’est pourquoi les pompes qui contiennent du fluticasone doivent être évitées par ceux et celles qui prennent des IPs. Si possible, votre médecin éviterait de préscrire les corticostéroïdes et choisirait une solution de rechange à ces derniers, ou choisirait une thérapie antirétrovirale sans IP.
Si l’association de corticostéroïdes en inhalation et IP ne peut être évitée, on va privilégier les pompes avec d’autres corticostéroïdes tel que la béclométhasone (Beconase®), le budénoside (Pulmicort®) ou le ciclésonide (Alvesco®), et ce aux plus petites doses possibles. Ces derniers seraient plus sécuritaires. Cependant, quelques cas de syndrome de cushing ont également été rapportés avec le budénoside. Si vous prenez des IP avec un de ces corticostéroïdes en inhalation, il est important de mentionner à votre médecin si vous observez une prise de poids récente ou d’autres symptômes du syndrome de cushing mentionnés ci-haut. Par une prise de sang, votre médecin peut également regarder la quantité de cortisol dans votre sang et le bon fonctionnement de vos surrénales.
Pour éviter les interactions
Il existe plus d’interactions que nous pouvons regarder en détail ici. Pour des informations plus complètes et régulièrement mises à jour sur les interactions médicamenteuses, vous pouvez consulter les sites Web mentionnés dans la rubrique à droite.
La chose la plus importante est de communiquer ouvertement avec votre médecin et votre pharmacien. Ils peuvent aider à détecter les interactions et les gérer rapidement afin d’éviter une diminution de l’efficacité de vos médicaments ou l’apparition d’effets secondaires graves.